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Paiment des soins primaires : pour un financement incitatif à une prise en charge globale et coordonnées


gestions hospitalières n°603 - février 2021

Le paiement à l’acte reste à ce jour le mode de financement majoritaire pour les soins primaires en France. Il assure la continuité de l’accès aux soins dans une majorité de territoires urbains. Cependant, il ne résout pas les questions de désertification médicale, les actes non pertinents, l’adaptation de la prise en charge globale au type de patient et le manque d’incitation à la coordination des parcours. Ce système est par ailleurs de moins en moins attirant au regard des nouvelles générations de médecins généralistes. Plusieurs types d’expérimentation pour faire évoluer les modes de rémunération des soins primaires voient le jour dans le cadre du dispositif article 51 de la LFSS 2018. Le lien entre mode de rémunération des soins primaires et l’efficience des systèmes de santé demeure un graal difficile à atteindre. Si la tendance est de diversifier les modes de rémunération au sein d’un même système, apprendre de la maturation atteinte par des modèles expérimentés dans d’autres pays permettra d’adopter une attitude vigilante au regard de leurs effets cachés, et d’ainsi trouver le bon équilibre entre des systèmes tenus comme innovants.

Le modèle Français

Majoritaire dans des pays comme la France, le Luxembourg, l’Australie, le Québec ou Taïwan, le paiement à l’acte des soins primaires vise la rémunération du praticien selon le nombre et la nature des prestations réalisées. Alors que ce mode de paiement encourage une grande productivité des médecins qui se traduit de facto par un meilleur accès aux soins, chaque offreur de soins est poussé à considérer sa pratique de façon individuelle, ce qui n’incite pas à la coordination des parcours patients, essentielle en particulier dans la prise en charge des maladies chroniques, ni à l’adaptation des modalités de prise en charge à la complexité des patients des enjeux de plus en plus centraux dans l’organisation des soins.

L’idée d’une relation durable entre le patient et son médecin est ainsi mise à l’épreuve par une véritable fragmentation du système, où l’encouragement à l’individualisme et l’absence d’un véritable projet global de soins primaires engendrent une focalisation sur les prises en charge ponctuelles.
De plus, bien que les praticiens jouissent de la possibilité d’augmenter leurs revenus de manière flexible, l’ensemble de leur activité n’est pas pris en compte : jusqu’à 25 % de l’activité des généralistes n’est pas codée dans les standards de paiement, en particulier les tâches administratives et de coordination(1).


L’exercice libéral semble en effet de moins en moins populaire auprès des jeunes générations de médecins : en France, 62% des nouveaux inscrits en 2018 choisissaient le salariat (encadré), à comparer avec le tiers historique(2).


Ces nouvelles mentalités révèlent une préférence pour le confort d’exercice, notamment la sécurité inhérente au travail en équipe, l’absence ou la réduction des tâches administratives, un temps de travail plus faible (en général 35 heures contre 60 en libéral) et la sécurité (pas d’investissement, revenu assuré, meilleure protection sociale...), devant la souplesse d’une activité libérale souvent mieux payée mais également plus risquée et exigeante.

La capitation

Largement répandue dans plusieurs pays de l’OCDE comme l’Irlande, l’Espagne, le Pays-Bas et l’Italie, la capitation est un système basé sur une approche populationnelle où le paiement est global et supposé couvrir les coûts de soins d’un groupe de personnes donné. La population considérée pour le calcul de la rémunération du praticien est généralement sa patientèle régulière. Le médecin reçoit un paiement par patient et par unité de temps (typiquement un mois), quel que soit le niveau de service véritablement mis en œuvre: il ne produit aucune facture individuelle relative aux visites.

Le montant associé à chaque patient potentiel dépend d’une estimation du niveau de risque attribué à la catégorie de population à laquelle il appartient. Le découpage peut être plus ou moins fin. Aux Pays-Bas, la distinction est effectuée sur l’âge (plus ou moins de 65 ans) et ajustée à l’aide d’un «indice de privation sociale» qui caractérise le niveau social. Cet indice est évalué par le code postal de résidence(3).

 

 

Alors que la logique du volume d’actes semble évitée, ce système risque de donner place à une logique du volume de patients. Le danger est désormais de tomber dans l’extrême inverse: l’aversion à la prise de risque. En pratique, les généralistes semblent accueillir effectivement plus de cas peu graves, mais pas particulièrement moins de cas à haut risque(4). En outre, on peut craindre une augmentation de l’adressage vers des spécialistes (5) pour des soins qu’ils auraient pu fournir eux-mêmes, ou encore un plus grand recours aux services d’urgence(6).

Si le système par capitation a l’avantage d’une certaine simplicité administrative et du contrôle des dépenses de santé, il est généralement combiné avec d’autres modes de revenus, comme aux Pays-Bas, où un généraliste touche au minimum 16 € de capitation par patient et par trimestre(7) et facture en sus une dizaine d’euros par consultation.

Enjeu crucial des politiques de santé, les modes de rémunération figurent sur l’agenda politique de plusieurs pays

En France, plusieurs expérimentations sont en cours dans le cadre du dispositif créé par l’article 51 de la LFSS de 2018. C’est le cas du dispositif Peps – paiement en équipe de professionnels de santé en ville –, un système proche de la capitation, qui se base sur la rémunération collective de professionnels s’organisant pour assurer la prise en charge d’une patientèle donnée sur la base d’un système de forfaits, substitutif du paiement à l’activité. Les forfaits sont calculés pour la patientèle concernée et ajustés aux caractéristiques des patients (âge, sexe, CMU-C, type et nombre d’ALD), du
territoire (taux de pauvreté) ainsi qu’à la qualité de prise en charge, et libres dans l’utilisation et répartition entre les professionnels de santé.

Figure 1 : Système testé par les maisons pluridisciplinaires de santé Ipso

D’autres dispositifs en cours d’expérimentation incluent celui porté par les maisons de santé pluridisciplinaires Ipso, basées à Paris, où un système proche de la capitation vise à faciliter la prise en charge par différentes catégories de professionnels de santé et améliorer la prévention, en se basant sur un système de forfaits. Ceux-ci comportent une enveloppe mensuelle par patient, substitutive du paiement à l’acte et destinée aux médecins traitants, qui s’engagent d’une part à réaliser le suivi en soins primaires au sein du cabinet, mais

aussi à établir avec le patient un parcours de soins complémentaires actuellement non pris en charge par l’assurance maladie (accompagnement psychologique, assistance sociale,
traduction, rééducation psychomotrice...).

Ces derniers sont couverts par une enveloppe annuelle complémentaire (qui ne doit pas excéder 15% du montant total des forfaits mensuels versés aux médecins traitants) destinée aux partenaires du
cabinet qui assurent ces prestations complémentaires.


Dans plusieurs pays de l’OCDE, le niveau de rémunération des praticiens est ajusté par une incitation à la performance en fonction d’indicateurs qui concernent typiquement l’offre de soins en elle-même, la qualité du processus organisationnel et l’efficience économique. Il permet en théorie aux payeurs d’élaborer des stratégies pour encourager certaines pratiques. Ceci peut aller au-delà des motivations financières :

si les indicateurs de performance sont rendus publics, ces derniers ont intérêt à se rendre attractifs. La collection et la vérification des indicateurs introduisent néanmoins une complexité administrative non négligeable, ce qui cantonne ce mode de rémunération à un rôle de complément d’un autre
système socle.


En France, la réforme du médecin traitant initialisée en 2006 a permis d’introduire le contrat d’amélioration des pratiques individuelles (Capi) (comportant trois axes : prévention, suivi
des maladies chroniques et optimisation des prescriptions), et depuis 2011 la rémunération sur objectifs de santé publique(Rosp), récompensant l’atteinte des objectifs de santé sur la base d’une batterie d’indicateurs en constante évolution depuis.

Le dernier bilan de la Rosp fait part d’une amélioration globale des indicateurs notamment en matière de prévention (à l’exception du dépistage des cancers) et d’optimisation des prescriptions(8) L’ensemble de ces paiements complémentaires représente en moyenne 4820 € pour les médecins traitants adultes en 2019(9), soit environ 5% de son salaire net moyen.


D’autres modes de paiement sont actuellement testés en France : c’est le cas des bundle payments, intermédiaire entre des paiements atomisés, comme le paiement à l’acte, et des paiements globalisés, comme la capitation :

 

  •  les paiements par parcours de soins se basent sur un forfait global versé au praticien pour un patient donné, en fonction de sa pathologie: le versement est unique ou reconduit sur une certaine période de temps, mais son montant ne varie pas en fonction des actes réalisés en pratique. Le forfait est calculé en considérant un parcours type de soins : il est donc particulièrement adapté aux maladies chroniques, les cancers et les grossesses. Sa mise en œuvre s’avère toutefois complexe du fait que, dans ce contexte, un système de rémunération pertinent se doit d’englober plusieurs professionnels de santé en ville: les offreurs de soins peuvent alors recevoir un paie- ment global et contractualiser entre eux pour redistribuer les fonds, ce qui suppose de disposer d’une structure juridique adaptée et requiert souvent la création de modèles juridiques ad hoc. Le paiement à l’épisode de soins ne paraît donc pas adapté à un passage à l’échelle d’un système entier pour un pays, mais il semble intéressant pour les pathologies qui s’y prêtent. En France, ce type de paiement est actuellement testé par plusieurs dispositifs dans le cadre de l’article 51. C’est le cas du Peps diabète, à la frontière de la capitation, visant à tester la mise en place d’un forfait mensuel versé à une équipe pluriprofessionnelle en charge des soins de premier recours pour une patientèle de patients diabétiques (de types 1 et 2) donnée;

 

  • les shared saving programs devraient également fortement se développer encore avec les expérimentations de type article 51, parmi lesquelles on compte l’incitation à une prise en charge partagée (Ipep), expérimentée en France dès cette année, et qui entend pousser les différents professionnels à s’organiser pour répondre aux besoins de santé d’une clientèle commune. Concrètement, il s’agit d’un intéressement collectif, purement incitatif, pouvant être versé à un groupement d’acteurs de soins (comme une maison pluriprofessionnelle de santé, une CPTS...) si ses membres atteignent des objectifs de maîtrise des dépenses et de qualité prise en charge pour une popu- lation donnée. Il est ainsi non substitutif mais complémentaire aux modes de rémunération principaux et n’induit pas de sanction financière en cas de non atteinte des objectifs fixés.

Vers des systèmes mixtes

Figure 2 : Evaluation des modes de rémunération des soins primaires 

La plupart des systèmes de santé adoptent ainsi un fonctionnement de base (souvent la capitation ou le paiement à l’activité) et introduisent des nuances ou dérogations spécifiques à certains types de prise en charge.

Des types différents de rémunération peuvent ainsi cohabiter, comme en Espagne, où les médecins généralistes perçoivent en partie un salaire, auquel il s’ajoute un revenu par capitation et un complément lié à la performance(10). Le système peut être mixte aussi à l’échelle d’une zone géographique. Au Canada, la responsabilité du système de santé revient aux provinces, qui mettent donc en place un système à l’échelle régionale.

 

Un cas particulier intéressant est celui de la province d’Ontario, la plus peuplée: depuis 1990, les généralistes peuvent choisir leur mode de rémunération parmi un menu qui s’est étoffé au cours des années(11). Dix-sept modèles existent en tout, comprenant des combinaisons variées de capitation, de paiement à l’acte, de salariat, d’incitation à la performance... Si le système de santé a subi des audits depuis, la réforme ne comprenait pas de processus d’évaluation complet, et son impact est malheureusement assez mal évalué, ce qui est d’ailleurs à bien définir avant la mise en place d’un système aussi complexe.

L'article 51 : une aventure sécurisée en terrains inconnus

Les trois modes de rémunération classiques (salariat, paiement à l’acte et capitation) ne semblent pas individuellement suffisants pour inciter à un volume de soins pertinent. Si la tendance de diversification des systèmes de rémunération des soins primaires au sein d’un même territoire vise à trouver un équilibre à la fois entre pertinence, qualité et coordination de soins, et attractivité vis-à-vis du corps médical, le lien entre les différents systèmes de rémunération des soins primaires et l’efficience des différents systèmes reste difficile à démontrer. Une transition vers un système composé de différents modes de financement paraît nécessaire, mais génère une multiplicité de modalités de financement à gérer en parallèle qui le rend difficile à concevoir, à mettre en œuvre et à évaluer.

Le dispositif article 51 s’appuie sur l’expérience et la créativité des professionnels de santé et acteurs de terrain pour s’emparer des problématiques du financement des soins et proposer des expérimentations permettant de faire évoluer le système de santé et ainsi de faire face aux défis épidémiologiques, technologiques et économiques des années à venir.

En s’appuyant sur le corps médical et paramédical comme moteur de l’émergence de projets novateurs, le dispositif capitalise sur leurs connaissances et augmente simultanément leurs chances d’acceptabilité.

Parvenir à une mise en place de nouveaux modes de tarification est un travail long et laborieux et qui risque de ne pas être conclusif s’il n’est pas accompagné d’un système d’évaluation structuré et adapté. La généralisation d’une expérimentation n’est en effet plus concevable sans des éléments préalables de preuve de sa faisabilité, son efficience/efficacité, et sa reproductibilité. En mettant en place une cellule d’évaluation pilotée par la Cnam et la Drees accouplée aux expérimentations dès leurs stades les plus précoces, la France se donne une longueur d’avance au regard des évolutions tarifaires conduites à l’international : si des effets pervers auparavant non identifiés sont dévoilés au long des expérimentations, elles peuvent être arrêtées ou ajustées. En revanche, si l’évaluation arrive à démontrer la pertinence des organisations expérimentées au regard du système de santé, le Graal tant recherché pourra être atteint, conduisant à une offre de santé en très bonne adéquation
avec les besoins, avec une grande satisfaction des patients et des praticiens. 

Références

(1) J.-B. Prunières, « Évaluation des tâches non médicales
des médecins généralistes en Occitanie : étude transversale par auto-questionnaire », thèse, université de Montpellier, 2018.
(2) Atlas du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom).
(3) Observatoire européen des systèmes et politiques de santé, Netherlands, Health System Review.
(4) D. Rudoler, “Paying for primary care: a cross-sectional analysis of cost and morbidity distributions across primary care payment models in Ontario Canada”, Soc Sci Med. 2015;124:18-28.
(5) S. Sarma, “Family physician remuneration schemes and specialist referrals: Quasi experimental evidence from Ontario, Canada”, Health Economics Volume 27, 2018, Issue 10, 1533-1549.
(6) R. Glazier, “Capitation and enhanced fee-for-service models for primary care reform: A population-based evaluation”, Canadian Medical Association Journal 2009, 180(11):E72-81.

(7) Landelijke Huisartsen Vereniging, association néerlandaise des médecins généralistes - www.lhv.nl
(8) Ameli.fr, « La Rosp en 2019 : des résultats en hausse pour la seconde année consécutive », 21 avril 2020.
(9) Ibid.


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