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Considérations pratiques pour l’élaboration de paiements forfaitaires à l’épisode ou au parcours


Finances Hospitalières - Juin 2018

Le chantier d’expérimentations d’innovations organisationnelles dans le système de santé prévu par l’article 51 de la LFSS 2018 a été lancé. De nombreux acteurs de la santé commencent déjà à réfléchir et à proposer des projets, mais peuvent se sentir désemparés face à la complexité et aux nombreux points qui doivent être pris en considération dans la conception de ces forfaits. Allant de sujets très techniques, comme la détermination d’un montant de paiement adéquat, aux problématiques relationnelles qu’implique le partage de risque entre les organisations partenaires, la
démarche de construction d’un paiement forfaitaire est parsemée d’interrogations.

Les premières expérimentations sur de nouveaux modes
de tarification commencent à se dessiner en France

À la suite de l’installation du conseil stratégique d’innovation en santé le 5 avril 2018 par la ministre de la santé, Agnès Buzin, le cadre générique d’expérimentations pour faire émerger des innovations organisationnelles dans le système de santé a été précisé.
Volontairement conçu pour permettre un mode de fonctionnement souple et agile, le dispositif permet à tous les acteurs de proposer des projets, qui seront évalués par le comité technique au fil de l’eau. Dans une démarche de co-construction avec l’équipe nationale d’appui et le comité technique, les projets seront affinés par la suite et leur portée définie comme locale, régionale, interrégionale ou nationale.

Un forfait pourrait inciter à une meilleure qualité et conduire à une diminution des coûts des soins

Parmi les différents types d’expérimentations possibles, le financement à l’épisode ou au parcours de soins apparaît comme une piste primordiale et un appel à manifestation d’intérêt pour quatre prises en charge chirurgicales a été lancé dès à présent.
Le forfait à l’épisode ou au parcours est défini comme une rémunération fixe unique pour couvrir un nombre de soins lors d’un épisode aigu (par exemple une hospitalisation et les soins pré- et post-hospitalisation associés) ou d’une maladie chronique pendant une durée déterminée. Ce forfait permet de rémunérer tous les acteurs qui interviennent dans la prise en charge de l’épisode et de payer l’ensemble des moyens qui sont nécessaires à cette prise en charge.


En regroupant la rémunération de tous les soins liés à un épisode ou à un parcours, le risque financier d’éventuelles complications est transféré de l’assurance maladie vers les acteurs de la santé, qui deviennent financièrement responsables de la qualité des soins qu’ils fournissent.

Mais de nombreux points sont à considérer pour créer et mettre en œuvre un forfait

Si les avantages d’un paiement forfaitaire sont faciles à apercevoir, la mise en œuvre de ces nouveaux modes de financement soulève de nombreuses questions pratiques (Figure 1).

Questions d'ordre médical

Ces questions doivent être résolues avec une vraie participation et un engagement des médecins. Il s’agit notamment de choisir la pathologie pour laquelle il y a un sens à basculer vers un paiement à l’épisode. Pour cela, des critères tels que l’existence de parcours cliniques bien déterminés et des protocoles normalisés ainsi que les volumes de la pathologie sont très importants.

Des questions liées aux coûts de la pathologie doivent également être examinées. Par exemple, l’existence de coûts trop importants ou d’une grande variabilité de coûts entre offreurs de soins pour des patients présentant de caractéristiques semblables indiquent qu’un passage à une rémunération à l’épisode ou au parcours pourrait être bénéfique.


Une fois la pathologie déterminée, il faut préciser quels sont les soins à inclure, ce qui est normalement décidé sur la base de sa pertinence clinique pour le traitement global de la pathologie en question (par exemple, une amputation du pied serait prise en compte dans un paiement forfaitaire du diabète, mais une prothèse de la hanche n’y serait pas). Bien que des affections aigües ou des maladies chroniques puissent faire l’objet d’un paiement forfaitaire, il s’avère plus difficile de déterminer le contenu exact du forfait dans le deuxième cas.

De même, un consensus sur le moment précis du début et de la fin de l’épisode doit être obtenu, mais cet aspect est normalement facile à déterminer quand les protocoles de traitement sont bien standardisés. L’épisode doit également comporter des périodes de garantie pour des éventuelles complications advenant de l’intervention initiale ou du traitement administré.


Enfin, il est essentiel de pouvoir déterminer les profils des patients qui pourront être inclus dans le forfait et de ceux dont les caractéristiques sont tellement complexes qu’il devient plus pertinent de les exclure.

Questions d'ordre financier

Une fois le périmètre de l’épisode déterminé, les aspects financiers doivent être traités.

D’une manière générale, le montant du paiement forfaitaire comporte trois parties :

 

  • un prix de base - calculé soit sur la base des coûts réels, soit sur la moyenne

des valeurs historiques moins une estimation du montant associé aux « coûts potentiellement évitables »

 

  • un ajustement au risque lié au patient - afin d’éviter l’exclusion de patients qui pourraient s’avérer « trop coûteux », il convient de moduler le prix de base selon les caractéristiques du patient, à la fois d’un point de vue de sévérité clinique, de condition physique, et de sa situation socioéconomique (par exemple : patient isolé). Cet ajustement n’a pas de raison d’être fait dans les cas où les critères d’inclusion des patients dans le forfait sont tellement exigeants que la population éligible est très homogène 

 

  • une modulation à la performance - ce troisième volet n’est pas obligatoire, mais peut être pertinent. Il s’agit d’introduire un bonus ou un malus au prix final dépendant des valeurs de certains indicateurs de qualité, de processus et / ou de satisfaction du patient. Cela peut être mesuré par rapport à des objectifs absolus ou à une amélioration relative par rapport à la performance passée.

Après la décision du montant du paiement, il est nécessaire de trancher comment le paiement sera fait. Notamment, s’il sera fait de manière prospective ou rétrospective et comment le risque est partagé entre le payeur et les différents offreurs des soins.


Il existe également trois possibilités pour partager le risque d’un paiement forfaitaire :

  • partage des gains - dans ce cas, l’offreur de soins n’est pas responsable du paiement des coûts additionnels engendrés au-delà du montant du forfait, mais partage les économies par rapport à l’objectif de prix fixé avec le payeur 
  • partage des pertes - dans ce cas, une partie des coûts effectués au-dessus du prix fixé par le forfait doit être pris en charge par les opérateurs 
  • risque total - dans ce cas, les offreurs de soins prennent toute la responsabilité des coûts réalisés au-delà du prix de forfait.

 

En général, une évolution graduelle d’un partage des gains vers le risque total se fait au fur et à mesure qu’une meilleure compréhension des réels impacts de la mise en œuvre d’un forfait est obtenue.

Questions d'ordre organisationnel

L’un des facteurs clé de succès de la mise en place de paiements forfaitaires est l’intégration et la transparence entre les différents acteurs impliqués dans le parcours. Cela correspond à une des principales difficultés du système français qui reste encore très morcelé.


Un des points sensibles est notamment le choix du détenteur des fonds. Dans les cas où la majorité des coûts sont engendrés à l’hôpital, l’hôpital reste le choix évident, puisqu’il possède également la capacité administrative pour gérer les forfaits. Dans les cas où les parcours supposent la participation d’un grand nombre d’acteurs ou où le suivi en ville est la partie primordiale du parcours (comme dans les cas de certaines maladies chroniques), il peut être pertinent d’identifier un détenteur de fonds externe à l’hôpital ou, éventuellement, de créer une organisation ad hoc qui serait également responsable de la redistribution des fonds.

Questions d'ordre capacitaire

Un dernier point à ne pas négliger est la capacité des organisations à mettre en place et à gérer l’implémentation des forfaits.


L’un des premiers points est évidemment la capacité informatique et d’analyse des données. Par exemple, il est nécessaire de pouvoir retracer tous les coûts associés à l’épisode, même ceux qui n’ont pas été réalisés au sein de l’établissement qui gère le forfait, pour pouvoir les reconcilier et les évaluer.


Par ailleurs, tous les aspects liés à la qualité et à la satisfaction du patient doivent être recueillis et associés à l’évaluation.


Cela implique forcément que l’établissement ait la capacité administrative pour pouvoir le faire en termes de moyens humains et financiers.


Enfin, il convient de se poser la question si le forfait doit être associé à un certain niveau de capacité médicale, par exemple, si un seuil minimum d’interventions doit être exigé pour qu’un établissement soit éligible au paiement forfaitaire.

Installer une relation de confiance

La mise en place d’un forfait implique dans la plupart des cas la coordination de plusieurs acteurs qui généralement n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Un accord entre les différentes parties prenantes sur les différents aspects opérationnels peut ainsi s’avérer difficile. Dans les expérimentations réalisées à l’étranger, de nombreux tours de discussion ont été réalisés entre les participants, notamment entre les payeurs et les offreurs de soins, pour que la confiance puisse s’installer entre eux.
En effet, comme un paiement forfaitaire nécessite une analyse de données et une modélisation économique complexe, les différents acteurs ont besoin de temps pour pouvoir cerner toute la dimension de l’impact que le changement de rémunération aurait sur leur activité, comportement et situation financière.
 

Il faut également trouver le bon compromis entre les intérêts des offreurs de soins, comme par exemple le fait qu’ils puissent exercer un certain niveau de contrôle sur les activités dont ils deviendront responsables, et ceux des payeurs, dont le but principal est de maximiser l’efficience et d’inciter à une meilleure qualité de la prise en charge.
Si une relation de confiance ne peut pas être établie, il y a le risque qu’un accord ne soit achevé que pour un forfait concernant un petit groupe de patients très homogènes et à bas risque ou différant peu des actuels GHS. Par conséquent, le réel impact d’un paiement à l’épisode reste limité.

De la planification à l’expérimentation

La période de planification peut s’avérer relativement longue et dans les pays où ce type de paiement a été expérimenté cela a pu aller de 6 mois à un an.


Entre la planification et le lancement des expérimentations, les délais peuvent beaucoup varier et dépendent majoritairement de la motivation, de la préexistence d’un consensus et de l’organisation structurelle initiale des acteurs impliqués.


Dans tous les cas, la concrétisation de l’expérimentation ne devient possible que si les organisations en question sont capables de passer à un fonctionnement en mode projet et qu’un réel leadership existe à la fois de la part du corps médical et soignant et des cadres dirigeants.

Conclusion

La cadence du lancement des expérimentations relatives aux modes de financement innovants du système de santé s’accélère et nous observons de nombreux acteurs intéressés pour être les porteurs de ces projets.


Il s’agit néanmoins d’expérimentations complexes qui impliquent des questions très techniques et des questions de gestion du changement.


L’approche de construction de ces forfaits doit ainsi être très systématique, mais souple, pour permettre de créer un forfait qui soit économiquement viable et promeut l’efficience et la qualité, mais aussi de favoriser l’adhésion des médecins, qui doivent y trouver un vrai sens.

Références

Ministère des solidarités et de la santé, « Réunion du conseil stratégique d’innovation en santé », 5 avril 2018.
J. Jacobs, I. Daniel, G.R. Baker, A. Brown, W. P. Wodchis, « Bundling Care and Payment: Evidence from early adopters », Institute of Health Policy, Management & Evaluation, University of Toronto, août 2015.
Health Care Incentives Improvement Institute, « Bundled payment across the US today : Status of Implementations and Operational Findings »
HCAAM, « Document n°15 Rémunération à l’épisode de soins – annexe au rapport Innovation et Système de Santé », 25 février 2015
A. Girault, C. Gervès-Pinquié, E. Minvielle, « Les modes de paiement à la coordination : état des lieux et pistes pour une application en France », Journal de Gestion et d’économie médicales, 35 (2017) 109-127.


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